Petite enfance : l’éducation par le jeu

Pour développer son corps, son esprit ou son rapport au monde et aux autres, l’enfant emploie d’instinct la meilleure des méthodes : le jeu. Avant même ses 3 ans, de nombreuses étapes clés de son développement se mettent déjà en place. Dès lors, savoir comment accompagner les moments ludiques va largement favoriser son épanouissement.

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« C’est vraiment la base du développement de l’enfant. » Pour Florence Dupont, directrice de crèche et éducatrice de jeune enfant (EJE) diplômée, le jeu est central pour tout enfant, des premiers mois jusqu’à ses 3 ans, et même pour la suite. C’est même inscrit dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, rédigée par les Nations Unies en 1989. L’article 31 met ainsi en avant le « droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge, et de participer librement à la vie culturelle et artistique » (1). Mais pas besoin de dizaines de jouets et encore moins d’écrans (rappelons cette règle tacite : pas d’écran avant 3 ans). Il faut surtout bien s’adapter à ses besoins – sans vouloir trop en faire.

Diversité de jeux et d’apprentissages

Jeux moteurs type toboggans, jeux de construction, livres d’images, jeux symboliques comme la poupée… Les façons de jouer sont nombreuses et favorisent chacune à leur façon le développement de l’enfant : de la compréhension de son corps et du monde à la découverte de l’autre et l’expression de ses émotions. C’est pour cela que miser sur leur diversité est essentiel. « Dans notre crèche, l’espace est aménagé pour que chaque enfant ait accès à tous types de jeu pendant la journée, en fonction de ses besoins », explique Florence Dupont. En alternance de ce temps en autonomie, des activités collectives sont proposées « avec des règles, ce qui est aussi important pour se construire, et bien sûr apprendre à être en société ». Durant sa formation, elle a pu apprendre et appliquer les théories pédagogiques de grands pionniers comme le Suisse Jean Piaget, premier à poser les grandes phases du développement de l’enfant, ou Maria Montessori, qui a largement réfléchi aux façons d’apprendre par le jeu.

« On peut bien sûr très bien aussi ne pas fréquenter les crèches et grandir à la maison, souligne l’éducatrice. Dans ce cas, il est essentiel pour le parent d’être disponible, physiquement, mais aussi psychiquement, donc en mettant de côté son portable. Le jeu commun est important, mais également une simple présence par quelques encouragements est bénéfique. Il est par ailleurs très important pour l’enfant d’avoir du temps pour jouer seul, afin de développer son imagination et son autonomie. » Ce qui implique d’aménager la maison pour la rendre sécurisée et propice au jeu.

C’est notamment ce que fait Jeanne, chercheuse en sciences sociales basée à Montpellier, avec son fils de deux ans et demi. « Il sait trouver ce qu’il veut dans nos placards, et on le laisse faire au maximum. C’est là qu’il va vraiment se concentrer sur ce qu’il fait. C’est le meilleur moyen de l’intéresser : on lui fait essayer des choses, même si souvent il change d'avis au bout de 10 minutes. Et quand il s’agit d’un atelier peinture pour lequel on a passé 30 minutes à bien préparer les choses, c’est assez décourageant. »

Il faut donc beaucoup l’observer, ce qui n’est pas toujours simple quand on travaille : « On le confie à une assistante maternelle en journée, à qui on demande toujours ce qu’ils ont fait ensemble pour être bien au clair sur ce qui l’intéresse en ce moment. » Cette question de la disponibilité a également été difficile pour Frank, professeur de musique à Nantes. « À la naissance de mon premier fils, qui a bientôt 8 ans, je travaillais énormément et j’avais peu de temps pour lui. Je le regrette aujourd’hui, notamment parce que la disponibilité, ce n’est pas juste être auprès de lui, mais c’est aussi dégager du temps mentalement pour prendre un peu de recul sur les activités, ne pas être tout le temps dans l’improvisation. »

Ce manque de temps l’a poussé à favoriser l’essentiel : le cadre affectif, avec des jeux tactiles comme chat. « J’ai un second fils de 3 ans, pour lequel j’essaye d’être plus présent, mais en réalité, il a moins besoin de moi pour jouer, car il est très sollicité par son grand frère. »

Des jeux adaptés à tout âge

Ce cadre émotionnel implique aussi de l’orienter vers des jeux adaptés. « Sinon, l’enfant risque de se retrouver trop souvent en difficulté et développer des frustrations, explique Florence Dupont. Dans les premiers mois, par exemple, l’enfant veut plutôt explorer les choses sensoriellement. Il va notamment tout découvrir par la bouche, il faut donc toujours lui proposer des objets qui ne présentent aucun danger. » Par la suite, il faut surtout bien coller à son rythme d’apprentissage.

Un aspect que Frank a découvert sur le tas : « J’ai tenté très tôt des jeux pour lui apprendre sa gauche et sa droite, mais c’était prématuré. De toute façon, on ne peut pas faire autrement que suivre l’apprentissage de l’enfant : si ce n’est pas le bon moment, il est inutile de s’obstiner. » De son côté, Jeanne a appris à être dans l’accompagnement de ce rythme : « Quand on voit qu’il est très concentré et qu’il ne nous sollicite pas, on essaye de ne pas casser cette bulle. Ce qui fait que ça ne se passe pas toujours bien : parfois il va être frustré parce qu’il veut faire quelque chose de trop compliqué. À ce moment-là, notre rôle est de réajuster : changer de jeu ou bien l’aborder autrement, mais en tout cas de l’aider à retrouver le calme et la confiance. Parfois sans succès, mais c’est comme ça. » Par ailleurs, Florence Dupont rappelle que, du point de vue de l’enfant, tout est un jeu, même l’activité la plus sérieuse.

La chercheuse Josette Serres, docteure en psychologie du développement, va même jusqu’à dire que le jeu est un concept d’adulte : « L’enfant ne joue pas, il explore, il fait des expérimentations, il veut comprendre, il veut chercher à comprendre le monde. » (2) Pour Florence Dupont, cela va de pair avec son rythme : « Observer les feuilles des arbres bouger, c’est déjà un jeu qui va aider sa créativité. Pour nous adultes, il s’ennuie, mais l’enfant qui est dans l’observation ne s’ennuie pas. Il ne faut pas avoir peur de le laisser être dans la pause. »

Ne pas trop en faire

Tout le monde a envie d’être un parent parfait. Mais il faut faire attention à ne pas trop en faire. Notamment dans l’organisation des jouets : « Plus il y a de jeux, plus l’enfant est perdu et ne sait plus choisir, appuie Florence Dupont. Mieux vaut laisser quelques jeux à disposition et les renouveler régulièrement que tout proposer d’un coup. » Et inutile de dépenser des fortunes : dans la nature ou dans les objets du quotidien, les sources de jeu enrichissantes sont infinies. Jeanne le constate chez elle : « En ce moment, il est dans une phase de mimétisme, donc il utilise beaucoup nos ustensiles de cuisine. »

Autre tendance : l’envie de se renseigner sur tous les bons réflexes à avoir. Une intention louable, mais attention à l’abondance de ressources, en ligne ou ailleurs. « C’est peut-être par un réflexe de chercheuse, poursuit Jeanne, j’ai voulu collecter tous les bons conseils de jeune parent. Mais il y en a trop, et c’est difficile de bien se les approprier. » Florence Dupont abonde : « Il faut rester spontané, naturel, et garder son bon sens. Trop d’informations peuvent perdre les parents, d’autant qu’une information trouvée dans un livre peut finalement être mal comprise. Il vaut mieux se faire confiance, ou alors s’orienter vers des professionnels, par exemple la puéricultrice lors des visites mensuelles des premiers mois. » Et surtout ne pas avoir peur de faire des erreurs : « L’enfant expérimente par le jeu, et ses erreurs vont l’aider à comprendre les choses. Mais c’est pareil pour les parents. L’erreur est parfois bénéfique. » Peut-être faut-il au fond garder son âme d’enfant ?

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