Parents et jeux vidéo : un jeu de rôle ?

Dans les jeux vidéo comme partout en ligne, les comportements toxiques existent. Pour ne pas les laisser ruiner l’expérience vidéoludique d’un enfant, il est crucial d’ouvrir le dialogue.

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En 2023, 70 % des Français de plus de 10 ans jouent au moins occasionnellement - au moins une fois par an - aux jeux vidéo, contre 20 % en 1999. 53 % y jouent au moins une fois par semaine. D’après le guide pour une pratique responsable du jeu vidéo, publié par le syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, les plus jeunes sont les plus joueurs : 95 % des enfants de 10 à 17 ans ont une pratique du jeu vidéo et plus d’un sur deux y joue chaque jour. Et il n’y a pas que le nombre de joueurs qui évolue : l’univers du jeu vidéo s’est considérablement élargi au cours des années 2010 avec l’omniprésence du jeu en ligne. Désormais, le jeu est un alibi pour échanger avec ses amis ou regarder d’autres joueurs sur des plateformes comme Twitch ou Discord, surinvesties par les communautés de gamers.

Mais cette modification des usages amène également son lot de risques. « Les jeux sont devenus des espaces de communication et de socialisation, notamment pour les ados et les préados », souligne Olivier Gérard, responsable du collectif PédaGoJeux, dont la mission est d’informer les parents sur les pratiques et les usages du jeu vidéo. Selon lui, la massification de ces interactions en ligne a, comme dans l’univers numérique en général, « naturellement produit une augmentation des comportements toxiques ».

Comportements toxiques

Une étude reprise dans un rapport de la direction interministérielle de la transformation publique pointe ainsi que 74 % des adultes qui jouent à des jeux en ligne auraient été victimes d’une forme de harcèlement. « Les comportements toxiques sont minoritaires mais ils sont malheureusement très visibles », regrette Vanessa Chicout, vice-présidente d’Afrogameuses, une association œuvrant pour plus de mixité et de diversité dans le jeu vidéo. « Ils peuvent prendre la forme d’insultes, de commentaires racistes, sexistes, sur l’orientation sexuelle. Ça a un vrai impact psychologique sur celles et ceux qui les subissent. »

Ces comportements, observables notamment dans les chat vocaux, pourrissent l’expérience des autres joueurs mais peuvent aussi avoir des conséquences bien plus graves. Vanessa Chicout cite ainsi une collègue streameuse (personne retransmettant en direct ses parties de jeu vidéo, ndlr) qui s’est retrouvée exposée sur des forums nazis après s’être filmée. Bien loin, donc, du plaisir recherché en allumant sa console ou son PC. Comme ailleurs sur Internet – et en particulier sur les réseaux sociaux – le pseudonymat qui entoure l’identité des joueurs provoque chez certains un sentiment d’impunité. Voire attire des personnes mal intentionnées.

L’avocate et conseillère de la Fédération française de jeux vidéo Maria Berrada parle même de « fléau » : « Dans le cadre des jeux vidéo, le pseudonymat peut permettre à des prédateurs sexuels ou des escrocs de se protéger derrière un avatar pour demander des informations personnelles à des mineurs qui n’ont pas forcément la notion du danger ». Selon l’association Caméléon, le grooming, un terme qui désigne la prise de contact via les réseaux avec un enfant dans le but de le soumettre à des actes sexuels, sévit sur les chat des plateformes de jeux comme Fortnite.

Illustration par Claire Korber

Jeux compétitifs

Gare, toutefois, à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La toxicité de certains joueurs est le produit d’un cocktail de plusieurs ingrédients qu’on ne retrouve pas dans tous les jeux. Dans sa B.D Les jeux vidéo et nos enfants, Cookie Kalkair détaille par le menu les éléments qui augmentent le degré de frustration : la compétition, le hasard et le fait de devoir gérer une économie (comme dans Fortnite, où les déguisements – « skins » – les plus valorisants ne peuvent être débloqués qu’en payant).

Lui-même grand amateur de jeux vidéo, il observe que « les jeux compétitifs » – c’est-à-dire dont l’objectif est de gagner contre ses adversaires – sont les plus à même de « décupler le stress et la pression » chez les joueurs. La toxicité est ainsi plus grande dans les jeux multi-joueurs et/ou ceux proposant une expérience en « monde ouvert », où le décor et le temps de jeu sont presque infinis. Les MMO RPG (Jeu de rôle en ligne massivement multijoueur) comme World Warcraft, les MOBA (Arène de bataille en ligne multijoueur) comme Fortnite ou les FPS (Jeu de tir à la première personne) comme Counter Strike, sont des types de jeu plus propices aux comportements toxiques. Ces jeux se jouent essentiellement sur ordinateur ou sur console, les jeux sur téléphone portable intègrent moins facilement le chat et sont donc moins directement sujets à ce genre de problème.

Accompagner son enfant

Pour les parents qui ne sont pas eux-mêmes joueurs, il n’est pas évident de savoir comment se positionner pour accompagner au mieux son enfant. C’est pourtant souvent par eux, via le portable ou la tablette, que l’enfant entre pour la première fois en contact avec les jeux vidéo. Comme le rappelle Olivier Gérard, les parents ont tendance à moins investir le lien autour du jeu vidéo à mesure que leur enfant grandit, notamment vers la fin du primaire, lorsqu’il acquiert son premier portable ou ordinateur personnel. « C’est pourtant à cet âge qu’on observe une bascule dans les usages avec la pratique des jeux en ligne, plus chronophages, l’attirance pour les jeux plus violents et les micro-transactions en ligne », analyse-t-il.

Les outils pour accompagner son enfant sont nombreux. « Il n’y a pas de réponse universelle, mais le premier conseil est de s’efforcer de comprendre ce à quoi joue son enfant et, pourquoi pas, de jouer avec lui pour mieux adapter les règles à instaurer », assure Vanessa Chicout, qui rappelle par ailleurs qu’il est possible de jouer en local – c’est-à-dire sans se confronter à des personnes inconnues – et d’activer le contrôle parental. « Sur Xbox, PlayStation, Nintendo, et certaines plateformes, il est possible de créer un compte pour enfant via lequel on peut paramétrer des restrictions d’âge et contrôler le temps de jeu », abonde Cookie Kalkair qui conseille également de couper les communications avec l’extérieur, via le chat ou le clavier, pour les moins de 13 ans.

Un autre moyen efficace de limiter les risques est de respecter le système de classification par âge PEGI. Les pictogrammes affichés sur les plateformes ou les jaquettes des jeux – correspondant à 5 tranches d’âge entre 3 et 18 ans – donnent une indication du contenu du jeu en fonction de plusieurs critères : degré de violence, utilisation de langage grossier, activité sexuelle, etc. Pourtant, 35 % des parents déclarent ne pas y être attentifs lors de l’achat d’un jeu.

Des efforts de modération ?

Du côté des éditeurs, développeurs et hébergeurs de jeu, des efforts sont également à noter. Même si, comme le relève Cookie Kalkair, cela résulte plus « d’une bonne entente » entre acteurs de l’industrie que d’une réglementation en bonne et due forme. La « Fair play alliance » réunit ainsi une coalition des professionnels de l’industrie des jeux vidéo soucieux de partager des bonnes pratiques afin de « débarrasser les jeux du harcèlement, de la discrimination et des abus ».

« Les éditeurs et les plateformes ont modifié leurs conditions générales d’utilisation pour étoffer la partie sensibilisation sur l’interdiction des propos haineux, assure Maria Berrada. Il y a aujourd’hui une obligation de signalement : tout utilisateur doit pouvoir signaler aisément un contenu inapproprié. » Charge ensuite à l’éditeur de déterminer la sévérité de la sanction à appliquer au joueur problématique : bannissement temporaire, définitive du chat ou du jeu, etc.

Un joueur confronté à une situation de cyberharcèlement peut également porter plainte. Entre la loi sur la diffamation et l’injure, la loi sur la cyberhaine, celle sur le harcèlement en ligne, et maintenant le Digital Services Act au niveau européen, « la France dispose d’un arsenal juridique qui fait que les éditeurs sont plutôt bons élèves », analyse Maria Berrada. Mais l’avocate nuance : « Entre le moment de la réclamation et celui de la réponse judiciaire, quelques années peuvent s’écouler alors que le mal est déjà fait. Quand un jeune reçoit des insultes tous les jours, il n’attend pas trois ans avant de craquer. »

Quant à la modération des contenus du chat, Vanessa Chicout regrette qu’elle soit trop souvent à la charge des joueurs, faisant peser sur eux « une charge mentale énorme ». Les derniers progrès de l’intelligence artificielle pourraient-ils pallier au déficit de modération ? Cookie Kalkair voit en tout cas d’un bon œil l’automatisation de la détection des joueurs identifiés comme des tricheurs ou de certains mots clefs dans le chat.

En novembre, Fortnite a par exemple introduit un outil de « voice reporting » permettant d’effectuer un enregistrement audio les cinq minutes précédant un signalement pour violation des règles de la communauté, facilitant ainsi l’évidence de la preuve.

Enfant bleu

Pendant le confinement du printemps 2020, Fortnite a accueilli un avatar nommé Enfant bleu, créé par une association éponyme de lutte contre les maltraitances faites aux enfants. Derrière ce personnage à l’allure d’ange se relayaient des bénévoles, en lien avec des policiers spécialisés dans la détection des violences, dans le but de recueillir la parole d’enfants qui, privés d’école, risquaient d’être enfermés toute la journée avec leur agresseur. En un mois, 1200 joueurs se sont confiés sur les violences intrafamiliales ou le harcèlement scolaire qu’ils subissaient. Ce système d’alerte interne à un jeu vidéo n'a pour l’heure pas été généralisé.

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