Nélia Barbosa : « Ma prothèse fait partie de moi »

Temps de lecture : 6 min

à propos du contributeur

Zadig
Zadig, revue trimestrielle

Avec Zadig, Vous! par Macif plonge dans une grande passion française : le sport

Nélia Barbosa a 19 ans lorsqu’elle décide de la date de son amputation de sa cheville droite. Ce sera le 6 novembre 2017. L’hiver se prête à une rééducation longue et son membre atteint de neurofibromatose, une maladie génétique, la fait souffrir depuis toujours. « Avant même de savoir si je pourrai marcher ou courir à nouveau, se souvient-elle en buvant un diabolo fraise, j’ai demandé au chirurgien si je pourrai continuer le canoë-kayak. »

Quelques semaines après l’opération, son coach fait livrer au centre de rééducation le vieux canoë rose tout rafistolé de Nélia. Des images d’archives la montrent pagayant tout son soûl dans une piscine de dix mètres de longueur. « Pendant cette période, explique-t-elle, assise à la terrasse d’une brasserie à Nanterre, j’ai tenu un carnet de bord sur lequel je dessinais l’aventure que je traversais. Dernièrement, je l’ai parcouru, j’ai retrouvé des souvenirs oubliés. »

Depuis, Nélia Barbosa, 24 ans, est devenue vice-championne paralympique et vice-championne du monde de course en ligne en canoë-kayak. Toute son énergie et sa volonté sont désormais tournées vers les Jeux olympiques de Paris en 2024, puis ceux de Los Angeles en 2028, et enfin ceux de Brisbane, en Australie, en 2032. Nélia concourt en catégorie handisport dans le circuit international, tout en se prêtant aux compétitions valides dans le circuit régional et national.

« J’ai longtemps été intimidée par la compétition, aujourd’hui, je la kiffe ! » dit-elle en mordant dans sa bavette de bœuf, son péché mignon. Métisse, féministe, artiste, Nélia Barbosa apparaît comme une jeune femme de son époque, engagée en faveur de la protection de la nature qu’elle admire depuis son canoë, et pour un changement de regard sur les personnes handicapées. Avec son large sourire, son regard direct et ses colliers de perles, rien ne révèle son handicap si ce n’est une légère claudication.

Nelia Barbosa

J’avais 18 mois lorsque la neurofibromatose a été diagnostiquée, je suis fière de cette enfant qui s’est construite avec cette malformation au pied droit.

À écouter la jeune femme, l’amputation a été une étape douloureuse comme chacun en traverse. Nélia naît à Lisbonne (Portugal), en 1998, d’un père guinéen et d’une mère française. Elle garde de son enfance un souvenir merveilleux. « Mon père possédait une ferme où nous pouvions vivre dans la nature avec ma sœur Maëva. À l’école, il y avait une grande ouverture culturelle, mes amis étaient japonais, allemands, marocains. » L’enfant timide découvre le violon, le dessin au stylo et la peinture à la gouache lorsque la crise économique au Portugal rattrape sa famille. « J’avais 8 ans lorsque mon père a perdu son emploi, nous sommes venus vivre en France, à Champigny-sur-Marne. »

Nélia s’acclimate peu à peu à son nouveau cadre de vie. « À l’école, je ne connaissais aucun chanteur, ni aucune publicité, raconte-t-elle. Et je ne comprenais pas comment on pouvait passer un week-end devant la télévision ou des jeux vidéo. » Le sport et la découverte du canoë-kayak lors d’un camp d’été en Corse aide la collégienne à canaliser son énergie débordante et à construire son cercle d’amis. À cette même époque, les médecins diagnostiquent au père de Nélia un cancer du foie. Il décède six mois plus tard. « Ma résilience, dit-elle, débute avec cette épreuve-là. »

Rester assise de 8h à 17h, cela ne me convenait pas.

Nélia garde un souvenir mitigé des années de lycée. Selon elle, le système scolaire français ne convient qu’à une minorité. « Au moment du bac, c’était compliqué pour moi ; rester assise de 8h à 17h, cela ne me convenait pas. » Son besoin de se dépenser l’a fait abandonner le violon. « Cet instrument était trop sage pour moi. » L’adolescente découvre qu’elle aime apprendre seule. « Je déteste la contrainte. Pourtant mon entraîneur aujourd’hui dirait de moi que je suis scolaire. »

Surtout, les douleurs enflent sévèrement dans sa cheville droite, jusqu’à l’automne 2017 où l’évidence éclate. « Je me suis battue jusqu’au bout », dit-elle, lucide. Quand elle choisit la date du 6 novembre, une nouvelle étape de sa jeune vie s’ouvre. Aujourd’hui, sur son compte Instagram, en jupe ou en short, avec à la main sa pagaie, une haltère ou la médaille de chevalier de l’ordre national du Mérite, Nélia s’expose sans complexe avec ses différents modèles de prothèse. L’une est composée d’une lame recourbée pour la course, l’autre reconstitue son pied et sa cheville pour les déplacements quotidiens.

« Je veux rendre mon handicap visible, explique-t-elle. Lorsque je suis photographiée, il ne me viendrait pas à l’idée d’ôter mes lunettes. Pourquoi devrais-je cacher ma prothèse ? Elle fait partie de moi. Mon handicap a toujours existé mais, auparavant, il ne se voyait pas. »

Si les prothèses permettent à Nélia d’être autonome dans tous les domaines de sa vie, leur coût reste élevé et conditionne sa participation aux compétitions. En 2021, alors que les Jeux olympiques de Tokyo se profilent, Nélia a besoin d’une troisième prothèse adaptée à la course en ligne dont le prix s’élève à 7 000 euros. « J’avais peu de sponsors, se souvient-elle. J’ai lancé ma propre levée de fonds sur Internet. » Elle y décrit son amour de la glisse et de la vitesse, ses études en graphisme, son goût pour la persévérance et le dépassement de soi. Cent cinquante-sept contributeurs sont au rendez-vous qui offrent à l’athlète 13 455 euros.

Depuis, les victoires s’enchaînent et plusieurs sponsors soutiennent la championne désormais debout sur les podiums internationaux. « Tous les jours, je peux tout faire seule ; je n’ai besoin de personne et cela me va bien », conclut-elle alors qu’elle se lève pour rejoindre son lieu de stage de l’autre côté de l’avenue. Nélia a souhaité poursuivre en alternance sa licence en graphisme, pour garder une vie sociale et par amour pour le dessin et le design contemporain. « Aujourd’hui, je vis seule, fonder une famille ne fait pas partie de mes projets. » Elle exprime sa reconnaissance envers ceux qui l’entourent et la préparent physiquement. « Ils me disent “tu es la meilleure”, ils me répètent “tu vas gagner, tu vas en baver mais tu vas gagner”. »

Optimiste et lucide, la jeune femme s’interdit de se réjouir trop vite, elle connaît les revers de la vie. Elle poursuit son chemin, fidèle à ses choix. Lors de son dernier anniversaire, Nélia s’est offert un violon.

Article suivant