« Il ne faut pas avoir peur de poser des questions sur l’état mental de ses enfants »

En France, on estime que 1,6 million d’enfants et d’adolescents souffrent de troubles psychiques, mais seulement 800 000 d’entre eux bénéficient de soins. Selon le pédopsychiatre Olivier Bonnot, deux raisons à cela : le manque de spécialistes et la difficulté de diagnostic. Pour mieux les déceler, il rappelle aux parents l’importance d’échanger avec son enfant et surtout, de ne pas minimiser son état de santé mentale.

Temps de lecture : 6 min

à propos du contributeur

So press
Rédaction SoPress

Avec SoPress, la Macif a pour ambition de raconter le quotidien sans filtre.

Selon l’UNICEF, 50 % des troubles de santé mentale apparaissent avant l’âge de 14 ans. Comment expliquez-vous cette donnée ?

Olivier Bonnot : Ces dix dernières années, on constate une augmentation importante des troubles anxieux et dépressifs chez les enfants et les adolescents. On parle de 2 % pour les enfants, et entre 15 et 20 % chez les adolescents. La raison : ces troubles ont tendance à la chronicisation ou à la répétition. Quand vous avez été anxieux, vous avez plus de risque de l’être plus tard. Or, comme ça commence tôt et que ça se répète dans l’ensemble de la vie, nécessairement ça fait baisser la moyenne d’âge.

Et pourquoi cet âge plus qu’un autre ?

O. B. : C’est lié au phénomène qu’on appelle la « plasticité neuronale ». Pour simplifier les choses : lorsque vous discutez avec quelqu’un, dans votre cerveau, des connexions se font. Après cet échange, votre cerveau ne sera plus le même qu’avant. Il aura changé. Cette capacité de connexion neuronale, nous l’avons tout au long de notre vie, mais elle est particulièrement sollicitée chez l’enfant et l’adolescent. C’est normal, car c’est une période où tout ce que l’on fait est une nouveauté. Arrivé à la fin de l’adolescence, le cerveau fait le point de toutes ces connexions et élimine celles dont il n’a pas besoin. C’est aussi à cette période qu’il essaie de compenser les « anomalies », la plupart d’entre elles génétiques. Grosso modo, vous partez avec un bagage génétique qui peut vous envoyer vers une schizophrénie, mais grâce à cette plasticité, le cerveau opère des remaniements qui font que parfois, vous n’évoluez plus dans cette direction. Si chez certains ça peut fonctionner, pour d’autres, c’est là que les premiers symptômes apparaissent.

Longtemps, on a considéré que la bipolarité ou la schizophrénie avaient tendance à s’exprimer tardivement…

O. B. : C’est vrai ! Par exemple, on disait que les schizophrènes, c’était le trouble de la vingtaine. Et les bipolaires, le trouble de la trentaine. Tout ça ne veut rien dire… Il y a des patients schizophrènes avant l’âge de 18 ans. Ça représente même à peu près 20 % de l’ensemble des schizophrènes. Et nous découvrons chaque jour un peu plus des troubles bipolaires de l’adolescent. Longtemps, on a cru que ça n’existait pas chez les jeunes. C’est principalement dû à une méconnaissance des troubles et de la clinique de l’enfant. La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est une discipline qui date essentiellement de l’après-guerre. Assez récente, donc.

Pourquoi est-ce si difficile de déceler des troubles psychiques chez les jeunes ?

O. B. : Déjà, force est de constater qu’il y a un manque important de spécialistes… Le nombre de gens formés est vraiment trop faible. Il faut aussi rappeler que la psychiatrie est au stade où était l’ensemble de la médecine il y a encore cent cinquante ans, lorsqu’elle n’avait que très peu d’examens complémentaires. En psychiatrie, il n’y a pas d’examen biologique ou radiologique, qui permet de matérialiser objectivement un diagnostic. On observe et on établit des diagnostics uniquement cliniques. Certes, c’est intéressant, mais ça nécessite d’être bien formé et de prendre son temps. Autre élément qui rend les choses compliquées : les symptômes présentés par les enfants et les adolescents sont très souvent – en tout cas, au premier abord – assez similaires. Un enfant agité, en colère, peut aussi bien avoir un trouble du développement intellectuel, un trouble du spectre de l’autisme, un TDH, une dépression ou un trouble anxieux. Ce n’est donc pas toujours évident de faire la distinction. Et le dernier élément : il arrive que des gens répondent objectivement aux éléments d’un diagnostic à un moment donné de leur existence pour finalement, quelques années après, répondre aux éléments d’un autre diagnostic. La question s’est alors posée : est-ce qu’un diagnostic est évolutif ? Autrement dit : la personne est-elle d’abord autiste puis schizophrène ? Il faut être prudent. D’autant que les prises en charge ne seront pas forcément les mêmes selon le diagnostic. Bref, entre le manque de spécialistes, le fait que le diagnostic clinique puisse être un peu trompeur et évoluer, ça fait pas mal d’obstacles. Mais le vrai problème reste que si nous étions plus nombreux, on y arriverait mieux.

Concernant la santé mentale des jeunes, la pandémie Covid-19 n’a rien arrangé… Quel rôle les parents doivent-ils jouer ?

O. B. : Premièrement, il ne faut pas avoir peur de poser des questions sur l’état mental de ses enfants. N’hésitez pas à l’interroger : « Est-ce que tu te sens bien ? », « j’ai l’impression que tu es parfois un peu triste », etc. Et si vraiment, votre enfant vous semble ne pas aller bien, il faut savoir dire : « Tu n’as pas l’air en forme, est-ce que tu as eu envie de te suicider dernièrement ? » Non seulement cette question ne déclenchera pas des envies de suicide, mais elle peut le soulager. Et en posant ces questions, il ne faut surtout pas avoir peur des réponses. Sinon, l’enfant le sentira et se taira. Et enfin : ne jamais minimiser les choses ! Si un enfant vous dit qu’il n’a pas le moral, qu’il n’y arrive pas à l’école, pas de « oh, ça va aller, faut s’accrocher ». Nous ne sommes pas tous équipés de la même manière. Il faut donc être attentif, car si l’on arrive à prendre ces troubles précocement, on sera bien plus efficace. La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est avant tout une discipline de la prévention.

Quels sont les types de troubles psychiques ?

• Anxiété, phobies et TOC

• Troubles dépressifs

• Troubles bipolaires

• Troubles schizophréniques

• Troubles addictifs

• Troubles du comportement alimentaire (TCA)

• Trouble de stress post-traumatique

Article suivant