Précarité menstruelle, la fin d’un tabou ?

Deux millions de femmes en France n’ont pas les moyens d’acheter les protections périodiques et les produits d’hygiènes nécessaires lors de leurs règles. À la fois conséquence et facteur aggravant des inégalités de genre, la précarité menstruelle est enfin reconnue par les pouvoirs publics.

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à propos du contributeur

Christelle Granja

Journaliste à Socialter, le média des transitions et des alternatives.

À la rentrée prochaine, les résidences et les services de santé universitaires de l’Hexagone devraient être dotés d’un nouvel équipement : des distributeurs de tampons et serviettes hygiéniques. Le 23 février dernier, la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal s’est engagée sur la gratuité d’accès aux protections périodiques pour toutes les étudiantes, dès septembre 2021. « Cette mesure va dans le bon sens, mais nous espérons qu’elle sera déployée à d’autres femmes, au-delà des étudiantes : femmes précaires, sans papier, sans emploi, sans domicile fixe, à la tête de familles monoparentales… De nombreuses personnes sont concernées par la précarité menstruelle », réagit Charlotte Caccialupi, travailleuse sociale et bénévole au sein de l’association Sang rancune 76, qui collecte et distribue des protections hygiéniques.

Précarité menstruelle : des risques sanitaires et psychologiques

« Précarité menstruelle » : la médiatisation du terme est récente, mais le milieu associatif alerte depuis des années sur cette réalité trop répandue. En bref, il sagit de la difficulté économique à se procurer des protections périodiques : serviettes, tampons, culottes ou coupes menstruelles. Deux millions de femmes en France sont directement concernées (1). Un chiffre édifiant, que corrobore la dernière enquête sur le sujet (2) réalisée par la FAGE, Fédération des Associations Générales Etudiantes, lANESF, lAssociation Nationale des Étudiant·e·s Sages-Femmes et lAFEP, lAssociation Fédérative des étudiant·e·s Picto-charentais·e·s.

Plus dun tiers des étudiantes interrogées estiment en effet avoir besoin dune aide pour se procurer des protections. Une étudiante sur dix fabrique des ersatz de fortune pour des raisons financières, et une sur vingt utilise du papier toilette. Les enjeux sont loin dêtre anecdotiques. La précarité menstruelle peut provoquer de graves troubles physiques : démangeaisons, infections, syndrome du choc toxique pouvant occasionner la mort.

Lire aussi : Protections hygiéniques : tout savoir sur le syndrome du choc toxique

Les risques sont aussi dordre psychologique. Ne pas être protégée pendant ses règles peut diminuer la confiance en soi et accentuer des difficultés de réinsertion sociale, professionnelle et scolaire. Une étude réalisée par l’IFOP pour Dons Solidaires le confirme : 15 % des femmes bénéficiaires de lassociation ne se rendent pas à un entretien dembauche en raison de la précarité menstruelle et 17 % dentre elles renoncent à sortir.

Précarité menstruelle et tabou des règles

Si elle est aujourd’hui mise en lumière, la précarité menstruelle, à la fois conséquence et facteur aggravant des inégalités de genre, est longtemps restée inaudible. La cause, entre autres, au tabou qui entoure les règles. Les périphrases désignant le cycle menstruel, « problèmes de filles », « ragnagnas », « les Anglais qui débarquent », en attestent aujourd’hui encore. « Socialement, et de façon séculaire, les règles sont placées sous le signe de la honte, le sang menstruel est une souillure qui impose de le dissimuler et de se dissimuler, comme en témoignent une multitude de rites d’exclusion et de purification de la femme menstruée à travers l’histoire et dans tous les contextes culturels », analyse Camille Froidevaux-Metterie dans Le corps des femmes, La bataille de l'intime (Philosophie magazine éditeur, 2018).

L’étymologie de certaines expressions est révélatrice : ainsi, au XVIe siècle, les règles se disaient « catimini », du mot grec katamênia désignant les menstruations (pluriel substantivé de katamênios, de chaque mois). « Nous en avons conservé l’expression qui désigne ce que l’on fait de façon dissimulée ou hypocrite », relève l’auteure Camille Froidevaux-Metterie.

S’informer et agir contre la précarité menstruelle

Règles Élémentaires, association de lutte contre la précarité menstruelle

www.regleselementaires.com

Sang rancune 76, association de lutte contre la précarité menstruelle

https://www.facebook.com/sangrancune76/

Les protections hygiéniques, une nécessité sous-estimée

De fait, y compris dans le milieu de la solidarité, la question des règles et des besoins qu’elles engendrent est longtemps occultée. « Lors des collectes, lalimentation a longtemps été privilégiée ; et si les kits dhygiène masculins contenaient des rasoirs, leurs équivalents féminins étaient la plupart du temps dépourvus de protections périodiques. Les femmes nosaient pas le demander », observe Charlotte Caccialupi. Quand elle créé avec Charline Gérard lassociation Sang rancune 76, il y a deux ans, la trentenaire ne se doutait pas que la structure prendrait autant d’ampleur. « Un peu comme Coluche avec ses Restos du Cœur, nous avons réalisé que nos actions allaient devoir se prolonger bien au-delà de ce que nous avions prévu au départ. Les besoins sont plus forts que nous le pensions », observe Charlotte, qui consacre ses matins, ses pauses-déjeuners et plusieurs de ses soirées à organiser des collectes et des distributions en Seine-Maritime.

Malgré l’ampleur de la précarité menstruelle, la prise de conscience des pouvoirs publics a été tardive. Ainsi, il faut attendre 2016 pour que le taux de TVA soit abaissé à 5,5 % sur les protections périodiques, auparavant taxées à 20 %, comme n’importe quel produit de luxe. « En 2015, en première lecture, les députés, en majorité des hommes âgés, nayant jamais eu à se soucier de ce problème, ont refusé cet abaissement », rappelle Tara Heuzé-Sarmini, fondatrice et directrice de lassociation Règles Élémentaires, qui a touché depuis ses débuts plus de 100 000 bénéficiaires à travers lengagement dune vingtaine de bénévoles.

 

Aujourdhui, grâce au combat militant, appuyé entre autres dans l’hémicycle par la sénatrice Patricia Schillinger, « la donne a changé », se réjouit Tara Heuzé-Sarmini. Signe des temps : le budget gouvernemental 2021 consacré à la lutte contre la précarité menstruelle a été porté à 5 millions d'euros (contre 1 million en 2020). Alors que la thématique était quasi inconnue il y a quelques années, « désormais, des cups menstruelles saffichent en Une de journaux et le Président de la République dénonce la précarité menstruelle comme une injustice », observe encore la fondatrice de Règles Élémentaires.

Mais si le tabou se brise enfin, la précarité menstruelle est loin dêtre mise à bas. Les freins sont similaires à ceux que rencontre la lutte contre la pauvreté en général : un déficit de données et le choix politique de l’urgence au détriment du long terme. « Bien sûr, les associations sur le terrain se mobilisent, mais leurs résultats sont fragmentés. La précarité menstruelle peut être éradiquer, j’en suis convaincue. Mais elle doit être prise en compte au niveau national dans toute sa complexité. C’est un vrai enjeu », conclut Tara Heuzé-Sarmini.

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