Mobilité rurale : la révolution de l’auto-stop est-elle en marche ?

Auto-solisme, étalement urbain, fermeture de gares de proximité… En milieu rural et péri-urbain, se déplacer de manière efficace et économe ressemble à une équation impossible. Mais depuis peu, des initiatives locales lancent de nouvelles pistes de mobilités. Une révolution douce ?

Temps de lecture : 6 min

à propos du contributeur

Christelle Granja

Journaliste à Socialter, le média des transitions et des alternatives.

« Sept kilomètres séparent Castelsarrasin où je travaille et Moissac où je vis. C’est peu, mais cela reste compliqué de se déplacer sans voiture », regrette Marie, habitante du Tarn-et-Garonne. Et ce ne sont pas les horaires SNCF qui la feraient mentir : pour un aller-retour entre les deux villes (un rendez-vous professionnel, une course, une visite...), mieux vaut réserver sa journée. Alors pour cette mère de deux grands enfants, l’affaire tient de l’évidence : elle se rend au travail en voiture. Et la plupart du temps, elle est seule. Pas toujours cependant. Car depuis quelques années, Marie est inscrite sur Rezo Pouce, une structure coopérative et associative à l’initiative d’élus locaux, qui vise à favoriser et améliorer l’auto-stop. Alors quand elle croise des piétons à l’un des arrêts « sur le Pouce » installés par le réseau, hop, elle les fait monter à bord.

Depuis sa création en 2011, Rezo Pouce a bien grandi : d’abord cantonné à quelques villes et villages, il compte aujourd’hui 4 000 arrêts signalisés sur plus de 1 600 communes. « Chaque fois qu’une collectivité met en place le service, il est facturé de 2 500 à 6 000 euros par an. Mais si le déploiement du réseau vient des pouvoirs publics, son appropriation passe par les habitants, encouragée par des animations et diverses actions de sensibilisation », explique Michel Cassignol, président de l’association porteuse du projet. Les conducteurs, eux, sont bénévoles, et reconnaissables grâce à leur autocollant vert et blanc posé sur leur pare-brise. Une indemnité de cinq centimes par kilomètre a un temps été envisagée avant d’être abandonnée : il est simplement conseillé au passager de verser une participation au « chauffeur » si le trajet devient régulier.

Ce sont souvent dans les premiers et les derniers kilomètres d’un trajet que les déplacements sont difficiles : un centre bourg peut disposer d’un réseau de bus, sans que rien ne soit prévu pour y accéder depuis un hameau périphérique. C’est là que l’auto-stop va trouver son utilité.

« L’idée est de redonner de la mobilité là où elle est en panne, en lien avec les transports déjà existants »

Michel Cassignol, président de Rezo Pouce

Cette complémentarité, c’est aussi ce que défendent les collectivités locales de Bretagne et de la Loire-Atlantique qui ont monté Ouest Go en lien avec l’association éhop. L’ambition : développer un covoiturage de proximité, notamment sur des trajets réguliers. Pour la chercheuse en urbanisme Marie Huyghe, ingénieure en aménagement du territoire, ce lien entre associations, habitants et collectivités locales est l’une des conditions du succès. « De plus en plus d’associations d’usagers sont associées aux politiques menées. Si on ne travaille pas de manière concertée, on risque d’investir à perte ». Parfois, c’est la société civile qui est à l’origine de ces mobilités alternatives, comme avec Octopouce, imaginé il y a trois ans par un collectif de citoyens de la presqu’île de Crozon pour développer l’autostop organisé, avec carte de membre, carte des arrêts, panneaux de destination…

Rezo Pouce compte aujourd'hui quelque 400 « poulpes » (c’est le nom des participants du réseau) enthousiastes.

L’enjeu est environnemental, mais aussi économique et social. « Aujourd’hui, 80 % des actifs bretons sont seuls dans leur voiture. Le potentiel de réduction du trafic est énorme si on augmente le taux d’occupation des véhicules. D’un autre côté, la moitié des personnes en reconversion professionnelle a déjà dû refuser un emploi par manque de mobilité » explique Anne-Laure Chiquet, du service éco-mobilité au conseil départemental du Finistère.

Reste que la complémentarité entre transports en commun et dispositifs alternatifs n’est pas toujours au rendez-vous. De la théorie à la pratique, il n’est pas rare que le service public sorte amoindri. « Le projet de loi mobilités actuellement en discussion à l’assemblée1 présente l’intérêt de placer la mobilité au cœur du débat. Mais s’il insiste sur l’importance du rail, les actes ne vont pas dans le même sens. C’est rageant ! », déplore Marie Huyghe.

Aujourd’hui, on compte 5800 offres de covoiturage sur Ouest Go, et environ 12 000 utilisateurs de Rezo Pouce. Une goutte d’eau, au regard des millions d’automobilistes présents sur ces territoires. À tel point que nombre d’usagers, même convaincus, regrettent la faible fréquentation. « Je croise rarement du monde aux arrêts », confie Marie. « Ces initiatives restent encore anecdotiques, mais le discours évolue de la part des élus comme des citoyens. Depuis deux ou trois ans, la tendance est à l’expérimentation de nouvelles mobilités. Nous ne sommes qu’au début du changement » veut croire Marie Huyghe. Certains préjugés tombent, comme celui de la longueur des trajets en zone rurale (la moitié font moins de 5 km) ou encore l’inadéquation de certains modes de transport.

Ainsi, le département Loire-Atlantique a longtemps relégué le vélo au secteur du tourisme, avant de se rendre compte que ses parcours touristiques étaient aussi utilisés par les habitants pour des trajets quotidiens, relate la chercheuse. Désormais, une signalétique commune a été installée sur tout le territoire, les communes porteuses de projets en faveur de la Petite Reine et l’apprentissage du vélo sont soutenus. Dans le Finistère, Anne-Laure Chiquet observe également une « vraie attente » par rapport au vélo, jugé attractif pour des trajets inférieurs à 5 km, et jusqu’à 10 km avec des modèles électriques.

Assiste-t-on aux prémices d’une révolution ?

« Aujourd’hui tous les marqueurs passent au vert. On prend conscience que continuer à se déplacer chacun tout seul dans sa voiture ne marche plus, il faut changer nos habitudes. »

Michel Cassignol, président Rezo Pouce

La question, en effet, n’est pas qu’affaire de technique ni d’infrastructure, ni même seulement de transport. « Quand on parle mobilité il faut aussi penser utilité du déplacement », abonde Anne-Laure Chiquet. Télétravail, redéfinitions urbaines, horaires de travail… Les chantiers ne manquent pas.

En attendant, et si on levait le pouce ?

Article suivant