Les jeunes consomment-ils différemment que leurs aînés ?

Les Trente Glorieuses ont prototypé l’individu propriétaire et consommateur. Depuis, de nouveaux enjeux de sociétés - climatiques, éthiques, mais aussi liés à l’uberisation et la multiplication des canaux d’achat - ont complexifié l’acte de consommation. Les jeunes sont-ils des hyper-consommateurs ou des alter-consommateurs ? Et si, finalement, tout ça n’était qu’un faux débat ?

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Usbek & Rica

Avec Usbek & Rica, Vous! par Macif s'engage à documenter les tendances structurantes et émergentes.

Dis-moi quel âge tu as, je te dirai comment tu consommes

On les imagine smartphones de seconde main en poche, sapes solidaires sur le dos, sneakers à impact positif aux pieds, encas vegan dans le ventre : à en croire les imaginaires, les jeunes formeraient un groupe homogène de consommateurs éveillés et responsables. C’est du moins ce que l’on pourrait déduire de la médiatisation de cette “génération Greta Thunberg”, marcheuse pour le climat, politiquement verte, adepte de Vinted et Biocoop, vent debout contre l’ancien monde des entreprises et celui des “boomers”.

De fait, la prise de conscience existe bien chez certains : Romain, 24 ans, responsable de communication interne dans un fond d'investissement parisien, explique ainsi que ses habitudes de consommation ont évolué ces dernières années : « J’ai réellement plus conscience de mon impact écologique. J’achète beaucoup moins de produits transformés pour l'alimentation. Je n’achète plus ou alors très peu de vêtements issues du fast fashion par rapport à avant ». Maxime Delavallée, se félicite lui de rassembler 50 000 visiteurs actifs chaque mois sur le site de sa boutique en ligne de vêtements vintage de seconde main CrushOn. « Dans les nombreux retours de nos clients, la satisfaction provient à la fois de l'acte militant d'acheter de la mode de seconde-main sourcée par des commerçants indépendants à taille humaine, et de l'unicité stylistique et au glamour de porter du vintage » témoigne-t-il.

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Pourtant, il suffit de se pencher plus sérieusement sur les chiffres pour constater que ce seul constat est loin d’être pleinement représentatif des comportements d’achat des représentants de la jeunesse. Fin 2019, le Crédoc concluait son étude « Consommation et modes de vie » pour l’ADEME en notant que « les jeunes ont de fortes inquiétudes mais leurs comportements restent consuméristes ». Bien que l’environnement soit en tête de leurs préoccupations, ils sont toujours plus enclins à prendre l’avion et à faire les soldes que le reste de la population, et moins prêts qu’eux à calmer leur cadence d’achats. Laurène, 21 ans, étudiante à l'Ecole de Sage-Femme de Dijon, concède par exemple qu’elle « achète beaucoup plus de choses dites non essentielles (vêtements, produits multimédias…) » que ses parents, « alors qu’eux, qui avaient souvent moins de moyens, se concentraient sur des choses indispensables (voiture, loyer…) ».

Les jeunes sont-ils touchés par une forme d’hypocrisie ? Non : c’est plutôt que les termes du débat sont mal posés.

À la recherche du consommateur parfait

« Jeune ou pas, personne ou presque ne fréquente exclusivement McDonald's, ou exclusivement des Salad Bars vegan et il nous arrive tous de nous retrouver dans la situation de récupérer un panier d’Amap sur le chemin d’Ikea ou une commande Amazon en même temps qu’un colis Vinted » rappelle l’essayiste Jean-Laurent Cassely, spécialiste des tendances urbaines et nouveaux modes de consommation. « Dans une étude que j’ai pu mener avec l’ObSoCo (ndlr : Les jeunes urbains créatifs, contre-culture ou futur de la consommation, ObSoCo, 2018), on s’est demandé si les jeunes diplômés qui incarnent souvent l’avant-garde dans les médias étaient plutôt alter-consommateurs ou hyper-consommateurs : en fait la plupart des gens sont tiraillés entre ces deux modèles, et rares sont ceux qui ont un profil “pur". »

« Ce qui est clair c’est que l’alter-consommateur modèle ne correspond pas forcément aux comportements des “vrais gens”, y compris parmi les fameux Millennials »

Jean-Laurent Cassely, spécialiste des nouveaux modes de consommation

Quand on pose la question aux principaux intéressés, il est effectivement difficile d’obtenir des réponses tranchées : à choisir s’ils sont plus portés sur la fête commerciale du Black Friday ou son boycott, le Green Friday, Romain répond « ni l’un ni l’autre », Laurène « entre les deux extrêmes » et Léa, 27 ans, consultante en communication dans une agence parisienne, « les deux ».

Pour beaucoup, cette ambivalence traduit en fait la mise en place d’un mécanisme de balancier, qui consiste à contrebalancer sa consommation non-raisonnable par des achats vertueux. « C’est un jeu des compensations qui s’observe beaucoup dans le discours de l’alter-consommation, précise Jean-Laurent Cassely. Plus on prend l’avion, plus on va chez McDo, et plus il faudra acheter des produits verts ou en vrac pour compenser ». Un constat qui abonde dans le sens du raisonnement de Romain, qui avoue « compenser avec des actions quotidiennes comme le tri des déchets ou le recours à l’économie circulaire » son « addiction à tout ce que peut apporter l’uberisation (commandes de nourriture, VTC) ».

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D’ailleurs, un même comportement d’achat peut dissimuler des aspirations bien distinctes. Le fait de moins consommer, par exemple, peut cacher à la fois un sens des responsabilités aigu comme un simple manque de moyens. « On observe notamment du côté de la jeunesse ce qu’on appelle des comportements de transition, analyse Jean-Laurent Cassely. Si les jeunes n’ont pas de voiture ou qu’ils ne sont pas propriétaires de leur logement, c’est parfois tout simplement parce qu’ils ne sont pas stabilisés dans vie d’adulte, et qu’ils n’en ont pas encore besoin ». Un constat confirmé par une étude menée par le chercheur Richard Grimal sur une cohorte de jeunes français, dans laquelle il atteste que « les opinions et les attitudes de la génération Y ne jouent aucun rôle » dans le fait que les jeunes utilisent moins la voiture que leurs aînés, et que l’explication est plutôt à chercher du côté de leur non-entrée dans la vie d’adulte et dans l’obtention des moyens financiers qui l’accompagne. « Pour résumer, on peut dire que les jeunes prennent dès qu’ils le peuvent le même pli que les fameux boomers que l’on accuse aujourd’hui de tous les maux sur la consommation » ironise Jean-Laurent Cassely.

« Un jeune, c’est un être humain pas très différent des autres »

Jean-Laurent Cassely

De la conso au discours : où est le fake ?

C’est donc surtout dans les discours que la confusion règne. D’abord parce que saisir “les jeunes” comme un groupe uniforme est vain. Dans son livre Millennial Burn-Out (Arkhé, 2019), Vincent Cocquebert confirme que « derrière cet énième mythe générationnel » se cache « une armée de marketeurs et autres consultants avides d’alimenter la machine à poncifs pour faire tourner un juteux business ».

Et pose, in fine, la question : « Et si les millennials n’existaient pas ? ».

Mais la confusion vient aussi et surtout du fait que les projecteurs n’ont tendance à ne se braquer que sur une seule facette des modes de consommation. « Dans les faits, c’est souvent la recherche du meilleur prix qui l’emporte, mais dans le discours, c’est l’écologie, l’éthique ou la consommation responsable qui prend le pas, observe Jean-Laurent Cassely. La raison à cela, c’est que les catégories culturelles monopolisent le discours sur la consommation, alors que celles et ceux cherchent simplement le meilleur objet au meilleur prix ne prennent pas la parole ; non pas parce que ce modèle est honteux mais il ne fait pas l’objet d’un discours et d’une philosophie ».

Dans son livre co-écrit avec la sociologue et directrice de recherche au CNRS Monique Dagnaud, Génération surdiplômée, les 20 qui transforme la France (Odile Jacob, 2021), Jean-Laurent Cassely rappelle ainsi que seul un Français sur cinq a un master ou le diplôme d'une grande école en poche, mais que ce petit groupe des 20% se retrouve aux manettes des prescription de tendances. Les modes de consommation semblent donc moins une question d’âge qu’une question de catégorie socio-professionnelle.

Et si hypocrisie il y a, elle ne vient pas des jeunes, mais de son élite culturelle. « Depuis que la société de consommation existe, les intellectuels français s’y opposent, confirme Jean-Laurent Cassely. Il y a un décalage immense entre le discours critique sur la consommation et la place qu’elle occupe dans la société : la France est le second marché de McDonald après les US, la grande distribution traditionnelle, le discount et Amazon s’y sont très bien implantés, mais la condamnation de la “société de consommation” continue d’être la position dominante dans les médias et parmi les intellectuels, ce qui a tendance à creuser l’écart avec les consommateurs lambda qui sont pourtant conscients pour beaucoup des limites du consumérisme, mais en tirent également des satisfactions réelles ».

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