Des « forêts urbaines » pour sauver les villes ?

Îlots de fraîcheur en été, préservation des sols et refuge pour les insectes et les oiseaux… Les projets de « micro-forêts » urbaines semblent une aubaine pour les villes, espaces denses qui laissent peu de place à la nature. Les initiatives fleurissent un peu partout en France. La végétation reprendra-t-elle sa place au béton ?

Temps de lecture : 7 min

à propos du contributeur

Léa Dang

Journaliste à Socialter, le média des transitions et des alternatives.

Les milieux urbains, peu propices à la balade ? S’il est rare de ralentir le pas dans les métropoles, où le bruit se mélange à la pollution atmosphérique, c’est peut-être en partie par le manque de végétation.

Pour l’organisation mondiale de la santé (OMS), il faudrait au moins 9 m² d’espaces verts par habitant, avec un idéal de 50 m² à moins de 300 mètres de chaque habitation (1). Paris arrive tout juste à ce seuil, avec 9 m² de végétation par habitant, et la ville de Grenoble atteint quant à elle les 17 m².

« Malgré des périodes plus favorables à la nature urbaine que d’autres, les XIXe et XXe siècles ont été peu propices au développement d’une importante naturalité en ville car ils sont marqués par l’hygiénisme et le fonctionnalisme : les arbres devaient être bien taillés et agencés dans des espaces verts ou le long des grands boulevards au nom de la santé publique. Et jusqu’à la loi Labbé de 2017 qui interdit les produits chimiques dans l’espace public, et les premières actions municipales, la ville était, dans la réglementation, encore considérée comme un espace stérile pour la biodiversité », retrace Hugo Rochard, doctorant en géographie à l’Université Paris Cité.

C’est donc à partir de ce constat qu’Enrico Fusto et Damien Saraceni ont fondé en 2016 l’association Boomforest. L’idée : recréer des écosystèmes forestiers en ville via la méthode du botaniste japonais Akira Miyawaki : « Nous voulions recréer des espaces autonomes et plus sauvages, souligne Damien, l’un des fondateurs. Car les plantations ornementales, les villes savent déjà bien le faire. » Après un voyage au Japon, Enrico se lance, avec l’aide de Damien et plusieurs groupes de citoyens, à la création de différentes mini-forêts en Ile-de-France. « En 2017, nous avons débuté notre premier projet de plantation Porte-de-Montreuil, sur un talus du boulevard périphérique dans le 20e arrondissement à Paris. Aujourd’hui, nous pouvons suivre cinq projets par saison entre 500 à 900 mètres de surface, dont un à Lyon porté par la municipalité », abonde Damien.

Lire aussi : Maison individuelle et étalement urbain : faut-il densifier la ville ?

 

La ville comme territoire d’expérimentation

Au sein de l’équipe de Boomforest, des gens passionnés qui tentent collectivement d’agrader - améliorer la qualité d’un sol ou d’un milieu, par opposition à ce qui le dégrade - leur environnement, mais pas n’importe comment : « Les endroits que nous avons choisis à Porte-de-Montreuil et aux Lilas avaient des sols dégradés et pauvres en biodiversité», se rappelle Damien.

Le botaniste Akira Miyawaki a montré qu'une restauration rapide du couvert forestier et du sol était possible, même sur des sols très dégradés, ce qui en fait une technique idéale pour les milieux urbains. Cette méthode, qui a permis de reboiser de nombreux sites - notamment en Inde et autour de la Méditerranée (2) – consiste à planter plusieurs espèces locales de manière très rapprochée en s’inspirant d’un écosystème forestier à son stade final.

Avant de pouvoir planter, Damien et Enrico ont réalisé un minutieux travail de recherche pour retrouver les espèces d’arbres et d’arbustes naturellement présentes dans la région. « Nous nous sommes d’abord renseignés sur les essences d’arbres qui poussent dans les bois de la région, y compris ceux de Boulognes et de Vincennes, puis nous avons croisé ces informations à des sources historiques. » C’est donc des hêtres, des chênes, des érables, des ormes mais aussi des sureaux, des aubépines et des groseilliers, ainsi que plusieurs arbres fruitiers comme le pommier sauvage et le noisetier qui ont été plantés sur les différents sites parisiens. Ensuite, viennent l’attente, et un long travail de vigilance d’environ trois ans – pour s’assurer de la survie des jeunes plants. « Nous avons vraiment limité les passages pour qu’il y ait le moins de piétinements possibles », précise Damien. Les bénévoles interviennent donc seulement quelques fois dans l’année, pour l’arrosage et la coupe de certaines herbes.

Une forêt dense aux multiples vertues

Une fois arrivés à maturité, ces espaces ont de nombreuses vertus pour les riverains : diminution des températures, augmentation de la biodiversité, amélioration de la qualité de l’air et du bien-être. Pour se rendre compte de l’augmentation de la biodiversité, le géographe Hugo Rochard a réalisé des relevés de la flore avec l’écologue Marion Brun sur les sites de l’association. Sur un mètre carré de terrain, les deux scientifiques ont comparé la diversité des micro-forêts à celles des sites adjacents : « Un an après la plantation, on observe une densité de trois à quatre arbres par mètre carré. Une flore spontanée s’est également développée tout autour des arbres : elle vient enrichir la diversité des espèces présentes – qui est environ deux fois plus importante sur ces sites par rapport à ce que l’on trouve sur les talus à proximité, où le gazon est fauché au moins deux fois par an en moyenne », explique le chercheur.

Malheureusement, pour l’association Boomforest, le manque de suivi scientifique des différents projets ne permet pas de dire si la qualité des sols s’en voit améliorée. Damien constate toutefois de façon empirique la présence d’insectes : « Lorsque nous avons planté près du périphérique au Lilas, il y avait des déchets plastiques dans le sol et aucun insecte. Un an plus tard, il a suffi de creuser un peu le sol pour y trouver des vers de terre et plein d’autres organismes vivants. »

Lire aussi : Quiz : Quelles menaces sur la biodiversité et comment la protéger ?

Pour Michaël Belluau, chercheur spécialisé dans les questions de plantations urbaines au laboratoire de recherche canadien PaqLab, les bénéfices d’une mini-forêt urbaine pourraient même aider à lutter contre l’érosion : « Le principal problème en ville, c’est le tassement du sol : le milieu urbain le rend sec et dur et cela complique l’infiltration de l’eau par le sol. En revanche, avec la présence des racines, le sol est aéré. Et même en bord d’autoroute, ces forêts les maintiennent. »

En effet, les bois, les haies ou même de simples talus permettent déjà d’intercepter l’eau de surface. Ces micro-forêts ont aussi pour avantage de demander peu d’entretien : « L’objectif est de rendre ces espaces autonomes, c’est le cas pour le moment de notre projet à Porte-de-Montreuil quatre ans après la plantation », partage fièrement Damien Saraceni.

Le défi n’était pourtant pas simple à relever, car aucune initiative similaire n’avait eu lieu en France jusqu’alors… ou presque : « Le mouvement de “renaturation” des villes n’est pas totalement nouveau, précise Hugo Rochard. Les premières politiques cohérentes en ce sens datent, en France, d’une quinzaine d’années, avec, dans le cas de l’afforestation, le projet de “forêt linéaire nord” et “sud” à Paris. Ici, ce qui est nouveau, c’est qu’il s’agit d’une initiative citoyenne qui vise à la création d’un écosystème et non plus la protection d’un seul arbre remarquable. C’est un projet collectif à tous les niveaux. »

Ce désir de créer des écosystèmes – qui remplaceraient les arbres isolés dans du béton en ville – vient aussi des récentes découvertes scientifiques : « Depuis une dizaine d’années, nous avons pris conscience du niveau de communication des arbres dans les forêts : certaines espèces s’entraident. Les arbres sont plus résistants lorsqu’ils peuvent communiquer avec d’autres végétaux. Et les micro-forêts ont le même potentiel », conclut Michaël Belluau.

Article suivant