Foncier solidaire : devenir propriétaire autrement

Après Lille, Rennes ou Lyon, Paris se lance à son tour dans l’aventure du foncier solidaire. Cette nouvelle forme de propriété sépare le sol du bâti, pour des logements moins chers. De quoi convaincre les acheteurs... Pourquoi pas vous ?

Temps de lecture : 7 min

à propos du contributeur

Christelle Granja

Journaliste à Socialter, le média des transitions et des alternatives.

« L’atout du foncier solidaire ? Le prix ! Je n’aurais pas pu acheter sur le marché classique. Et en tant que locataire, je galérais tous les mois, un tiers de mon salaire passait dans un appartement qui ne m’appartenait pas. » C’est décidé, Caroline, 24 ans, éducatrice de jeunes enfants, a signé pour un T2 à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine), banlieue aisée de Rennes. La jeune femme résolue n’est pas une acheteuse comme les autres : elle sera propriétaire des murs de son appartement, mais pas du sol. « J’ai payé 83 000 euros pour 45 m2 et 9m2 de terrasse, alors que l’équivalent sur le marché traditionnel se négocie dans les 150 000 euros », précise-t-elle. Hors de portée : « les banques ne me prêtaient pas autant, je me suis vite heurtée au fait d’être célibataire, avec 1400 euros nets de revenus mensuels et un prêt étudiant encore en cours », regrette la bretonne.

Séparer le terrain du bâti, pour baisser le prix du logement. L’idée peut sembler étonnante. Mais pourquoi ne pas sauter le pas, si cela permet de payer moins cher ? « Avec les prix qui explosent, en tant que jeune, on se dit qu’on n’arrivera jamais à acheter. Ce dispositif permet de ne pas se démoraliser, et de se lancer ! », relève Caroline. « Ça va être le jour et la nuit par rapport à mon logement actuel. Je serai à dix minutes de mon travail, car je serai à un arrêt de métro, et je pourrai tout faire à pied » se félicite-t-elle.

Si le foncier solidaire est récent en France, il n’est pas inédit. Héritier des Community Land Trust expérimentés depuis plus de trente ans aux États-Unis, ainsi qu’en Belgique ou encore au Royaume-Uni, il séduit depuis peu les agglomérations françaises, de Lille à Saint-Malo, Rennes, Biarritz, Toulouse ou plus récemment encore Paris.

La capitale compte ainsi mettre en place son premier programme d’ici la fin de l’année, avec pour ambition affichée de diviser par deux le prix d’achat : de 10 000 à 5000 € le m2. Broutilles !

Organisme foncier solidaire : comment ça marche ?

En pratique, les acquéreurs achètent les murs de leur logement (appartement ou maison) via un bail spécial (un bail réel solidaire, BRS). Le sol, lui, reste la propriété d’un organisme de foncier solidaire (un OFS), structure à but non lucratif agréé par l’Etat, qui peut exister sous forme d’association, de Société Coopérative d’Intérêt Collectif ou encore de Groupement d’Intérêt Public.

« L’OFS achète le terrain sur lequel l’immeuble va être construit grâce à un prêt d’une durée de 60 ans, consenti par la Caisse des Dépôts et des Consignations. Dans certains cas, le terrain peut également être mis à disposition par des collectivités locales », précise Pierre Marchal, d’Occitalys Foncier, organisme de foncier solidaire en région Occitanie. Le terrain reste donc propriété de l’OFS : l’habitant le lui loue à petit prix, via une redevance mensuelle de l’ordre de quelques dizaines d’euros aidant ainsi l’OFS à rembourser son prêt à la Caisse des Dépôts. Le montage peut sembler complexe, mais le résultat est là : un prix d’achat de 20 à 50 % inférieur au marché privé. Une manière de démocratiser la propriété, notamment dans les centres urbains où les prix immobiliers grimpent jusqu’à exclure classes moyennes et populaires.

Ainsi, pour Marielle, lilloise de 55 ans, mère de deux filles et heureuse future propriétaire d’un T3 (l’aménagement est prévu pour 2020), la signature d’un Bail Réel Solidaire était l’unique ticket d’entrée pour acheter dans le centre-ville, où elle travaille. « Le remboursement de mon prêt et le paiement de la redevance sera l’équivalent de ce que je verse aujourd’hui comme locataire », confie cette responsable de magasin qui a longtemps vécu au Smic. C’est cette ambition sociale qui sous-tend le dispositif.

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« L’idée est de pouvoir acheter là où on veut, et non pas là où on peut. »

Pierre Marchal, d’Occitalys Foncier

« À Toulouse, la première résidence en BRS est au cœur du quartier huppé de Saint-Michel. Elle permet de devenir propriétaire au prix d’une location, tout en évitant de payer chaque mois à fonds perdu comme c’est le cas avec un loyer », abonde Pierre Marchal. Une manière de concilier les avantages de la propriété (sérénité, constitution d’un capital) et de la location (accessibilité).

Bémol : pour l’heure, les logements proposés, encore à l’état de plan ou de chantier pour la plupart, se comptent en centaines. Loin, très loin des besoins exprimés. « On en est encore au stade de l’expérimentation, mais on sent une vraie prise de conscience de l’intérêt de ce dispositif », observe-t-on chez Occitalys Foncier.

Dispositif public, créé par la loi Alur de 2014 (pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové)1 le foncier solidaire est bien sûr encadré. Au quotidien, cela ressemble à une propriété classique : on partage les charges de copropriété avec ses voisins ; on a un prêt immobilier à la banque, on refait sa cuisine si on en a envie. Mais n’accède pas au BRS qui veut. Il faut être en-dessous d’un plafond de ressources, qui varie en fonction des villes, et qui correspond à celui d’un prêt social location-accession (PSLA). En zone tendue, comptez environ à 32 000 euros de revenu fiscal annuel pour une personne seule (et 58 000 pour 4 personnes). Ailleurs, ces plafonds sont respectivement abaissés à 24 000 euros (et 41 000)2. Autre condition : le logement doit être votre résidence principale.

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« En pratique, ce sont souvent des adultes encore jeunes avec enfants qui se positionnent sur ce type de logement. »

Pierre Marchal, d’Occitalys Foncier

La revente est également encadrée : au niveau du prix, déjà, mais aussi des acheteurs : en bref, vous ne pouvez pas revendre à des acheteurs qui dépassent les plafonds de ressources, ou qui souhaiteraient investir pour générer des revenus locatifs. L’objectif est bien sûr de pérenniser le caractère social du dispositif. Sans ces garde-fous, les vendeurs pourraient réaliser de fortes plus-values, encourageant la spéculation, et dispersant en quelques années l’investissement public dans des bénéfices privés. « Cela fait partie des points négatifs : si un jour je pars, je ne pourrais pas louer, il me faudra vendre, et pas à n’importe qui ni à n’importe quel prix », explique Caroline.

Autre inconvénient : les démarches peuvent être longues. Ainsi, la jeune femme ne prévoit d’entrer dans les lieux qu’en 2021, le temps que la construction s’achève. « Il faut être assez posé dans ses projets pour se lancer ! ». Par ailleurs, un peu comme dans l’attribution d’un HLM, le choix de l’appartement est réduit. Les acheteurs se positionnent sur un bâtiment, formulent des souhaits (par exemple le nombre de pièces, rez-de-chaussée à bannir…) sans pouvoir précisément choisir leur futur bien. Mais pour la jeune active, les contreparties positives font clairement pencher la balance en faveur de cette forme innovante de propriété. D’autant que quand on vit en appartement, la question de la propriété du sol reste très théorique au quotidien !

Au-delà du prix, plus bas que celui du marché, et de la possibilité de souscrire un Prêt à Taux Zéro, le foncier solidaire offre aussi des garanties de revente. Par ailleurs, si l’appartement attribué n’est pas toujours idéal, les acheteurs ont la possibilité d’intervenir, durant l’avancement des travaux, sur le choix des peintures, des revêtements, du sol etc. « On est acteur de son projet », conclut Caroline. Le rêve propriétaire pour tous ?

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