Le body shaming chez les ados et ses impacts sur leur santé mentale

Plus de 8 adolescents sur 10 sont ou ont déjà été victimes de moqueries au sujet de leur corps1. Le body shaming, malheureusement très répandu, peut avoir de vrais impacts psychologiques sur les jeunes qui le subissent. Décryptage de Maryline Hamon, psychologue.

Temps de lecture : 7 min

à propos du contributeur

Maryline Hamon

Directrice psychologue du Point Écoute de la Maison de l’Adolescent de Champigny-sur-Marne (94)

Avec l’arrivée de la puberté, les jeunes se retrouvent confrontés aux changements de leurs corps qui amènent leurs lots de questions, de situations désagréables, de douleurs et surtout de tabous. Il est pourtant primordial que les jeunes s’approprient leur corps, sans honte ni culpabilisation ni jugement. Humiliations et cyberharcèlement peuvent créer une vraie détresse psychologique chez les ados (baisse d’estime de soi, dysmorphie, dépression, phobie scolaire, pensées suicidaires…) qui peut les impacter pendant des années.

Body shaming chez les ados : des chiffres alarmants

Un.e Français.e sur trois a déjà subi des remarques désobligeantes sur son apparence ou son poids1. Ce chiffre monte à 55 % chez les 18-24 ans1 et à environ 85 % chez les moins de 18 ans2. Et ce sont rarement des inconnus qui s’en prennent aux ados puisque 85 % des “attaques” proviennent de leur entourage, à savoir leurs camarades et/ou professeurs, leurs amis et même leur propre famille1.

Ces moqueries, insultes et harcèlements ont lieu aussi bien en personne (à l’école, dans la rue, à la maison) qu’en ligne sur les réseaux sociaux ou par messagerie. Les filles sont les premières victimes du body shaming. 23,9 % d’entre elles sont victimes d’intimidation en ligne, contre 18,5 % pour les garçons3. Le cyberharcèlement impacte les plus jeunes : 1 fille sur 5, âgée de 12 à 15 ans, rapporte avoir été insultée en ligne sur son apparence physique (poids, taille ou toute autre particularité physique)3.

Et lorsque l’on constate que 30 % des victimes de moqueries entre l’âge de 11 à 17 ans ont continué d’en subir les conséquences sur leur vie adulte1, une prise de conscience générale semble de mise.

 

 

Body Shaming : les impacts sur la santé mentale des ados

Maryline Hamon, directrice psychologue du Point Écoute de la Maison de l’Adolescent de Champigny-sur-Marne (94), est en contact quotidien avec des jeunes qui rencontrent des difficultés d’ordre émotionnelles. Et s’ils mettent rarement en avant le body shaming comme raison de leur mal être, il suffit de creuser un peu pour comprendre qu’il n’est souvent pas bien loin. « En général, ils ne viennent pas pour cela, explique-t-elle. On le comprend au fur et à mesure, en travaillant avec le jeune. La discrimination liée au physique est la première en terme de quantité. Le body shaming est un phénomène largement répandu, mais la victime ne s’en rend pas forcément compte. L’ado sait qu’il ne va pas bien mais ne fait pas le lien avec ses relations sociales et à l’éventuel harcèlement qu’il subit sur son apparence corporelle. »

Pourquoi le body shaming est-il si répandu et si banalisé ?

Maryline Hamon : Beaucoup minimisent les moqueries et les insultes parce qu’à l’adolescence on dit que c’est normal, c’est un rite de passage que les camarades rient les uns des autres. Les ados sont tous en train de se regarder, de se comparer, de se critiquer pour essayer de se rassurer eux-mêmes par rapport à ce qu’ils voient chez les autres. On va angoisser l’autre pour se désangoisser soi, c’est un phénomène quasi instinctif. C’est d’ailleurs comme ça que l’on peut voir des victimes de body shaming devenir à leur tour auteur de harcèlement. Sans oublier l’effet de groupe, qui amplifie le sentiment de droit de se moquer. Et lorsqu’on est victime, on veut sauver la face, tout le monde rigole donc on ne va pas faire celui ou celle qui se rebelle devant la majorité. Et c’est aussi vrai avec le reste de la société et les adultes de son entourage. Un ado peut être confronté à des remarques sur son corps de la part de ses propres parents, frères et sœurs, ou autres membres de la famille. Il y a une espèce de déni collectif où on va dire “Mais tu sais bien que c’est pour rire” ou “Qui aime bien châtie bien” ou encore “C’est affectueux”. Du coup, la victime minimise elle-même la situation en se persuadant que ce n’est pas si grave.

 

Parmi les 3 principales raisons avancées par les auteurs de body shaming pour expliquer leurs moqueries, celle qui arrive en tête est le fait qu’ils se sentent eux-mêmes mal dans leur peau1.

Les réseaux sociaux ont-ils aggravé le phénomène ?

M. H. : Je pense que le body shaming a toujours existé mais qu’effectivement les réseaux sociaux ont amplifié le fléau. Déjà parce que l’ado est confronté en continu à l’image des autres. Il y a une compétition en permanence, avec des photos travaillées et retouchées pour correspondre aux diktats, qui concernent les filles comme les garçons. Mais surtout, avant, lorsque l’ado quittait le collège ou le lycée, il pouvait se retrouver en sécurité chez lui, il avait un temps de répit. Aujourd’hui, les ados sont hyper connectés, donc même lorsqu’ils sont chez eux, ils ne sont pas à l’abri. Ils ne peuvent pas y échapper parce que le flux est permanent. Ça poursuit l’ado, dans le temps et devant le monde entier. Les choses sont rendues publiques, visibles et avec l'instantanéité des réseaux sociaux, des gens que vous ne connaissez même pas peuvent faire des commentaires. Il y a une perte de contrôle de sa propre image qui peut être très rapide et on entre alors dans une spirale où l’ado est complètement démuni.

Quels impacts peut avoir le body shaming sur l’état psychologique de la victime ?

M. H. : À l’adolescence, la question de corps est centrale dans la construction de l’identité. On essaye de le comprendre, de se l’approprier, de l’apprivoiser. C’est un exercice particulièrement difficile qui peut être rendu encore plus compliqué si l’adolescent estime que son corps ne répond pas aux critères que la société lui impose. Alors si en plus du regard particulièrement dur que l’ado peut avoir sur lui-même, il subit des moqueries, ça devient insupportable. Toutes les insultes qu’on se dit sans en avoir l’air ou un surnom désagréable basé sur le physique peuvent impacter l’image et l’estime de soi parce que l’ado a le sentiment d’être résumé à ça. La construction de soi se transforme alors en un véritable défi qui semble impossible à relever. En plus des impacts immédiats, comme la phobie scolaire, les troubles alimentaires, la dépression, il peut aussi y avoir des impacts sur le long terme. En effet, on pourrait apparenter ce harcèlement à une série de microtraumatismes, qui se répètent parfois tous les jours et cette répétition de microtraumatismes crée les mêmes dégâts qu'un gros traumatisme. On peut se construire un mental d’acier, mais des insécurités, des problèmes d’image de soi et de confiance dans les autres peuvent persister après l’adolescence. Il ne faut pas hésiter à consulter, même si ce n’est qu’une fois adulte, pour se défaire enfin de cette pression extérieure.

 

L'Essentiel de l'article
  • 85 % des ados sont concernés par le body shaming
  • Les réseaux sociaux aggravent le phénomène
  • Il peut avoir des impacts sur le court, moyen et long terme
  • Être averti en tant que parent est essentiel
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