L'aménagement urbain à l’épreuve des nouvelles mobilités

Avec 1,5 million d’utilisateurs de NVEI (Nouveaux véhicules électriques individuels)* en France (1) et jusqu’à 16 % de cyclistes dans certaines villes (2), la répartition de l’espace urbain entre les différentes mobilités et l’aménagement urbain est questionnée quotidiennement.

Temps de lecture : 8 min

à propos du contributeur

Madeleine Masse

Architecte-urbaniste, Agence d’architecture interdisciplinaire AREP

Paris

* Trottinettes, gyroroues, hoverboards, etc.

1 Comment les nouvelles mobilités bousculent-elles le partage de l'espace public en ville ?

Madeleine Masse, architecte-urbaniste : « L’arrivée rapide de nouveaux modes de transport comme les trottinettes oblige à repenser l’organisation des circulations. Traditionnellement, la voirie s’organise sur le modèle : un mode de déplacement = un aménagement. Une gare pour les trains, une pour les cars, une voie pour les voitures, une pour les bus, une pour les vélos… Idem pour les espaces de stationnement.

Or, cette organisation est extrêmement consommatrice d’espace et peu efficace : elle sépare trop les modes de déplacement, ce qui est peu pratique pour l’usager. En plus, elle ne permet pas de s’adapter rapidement aux nouvelles mobilités comme on le voit aujourd’hui. Il faut donc inventer des espaces plus hybrides dans leur fonction. Par exemple, nous réfléchissons en ce moment sur le sujet des gares routières : quelle fonction leur donner en dehors des heures de pointe ? Nous proposons d’en faire des lieux qui vivent toute la journée, par exemple en accueillant des flottes de vélos en libre-service, des aires de covoiturage ou même accueillir un marché pendant les week-ends. C’est le principe des centrales de mobilité et des pôles d’échanges multimodaux qui se développent de plus en plus dans les centres-villes comme dans les nouveaux quartiers. »

Le saviez-vous ?

Strasbourg est numéro 1 des villes de plus de 200 000 habitants en termes d’aménagements cyclables (km de pistes cyclables, anneaux de stationnement, zones tampons au niveau des carrefours, etc.), selon le Baromètre des villes cyclables 2017. Grenoble (38), Illkirch-Graffenstaden (67), La Flèche (72) et Sceaux (92) se classent également parmi les meilleures. Retrouvez le baromètre complet sur Parlons-velo.fr.

La multiplication des voies dédiées ne serait donc pas la solution ?

Madeleine Masse : « En effet, c’est le même problème sur la chaussée : il n’est plus possible aujourd’hui d’envisager une voie pour les bus, une pour les vélos, une pour les trottinettes... D’abord parce que c’est trop compliqué, et on aboutit vite à des aménagements sous-dimensionnés : de nombreuses pistes cyclables sont aujourd’hui trop petites parce qu’elles ont été conçues pour rogner a minima sur l’espace des voitures.

Il faut donc sortir de cette logique pour aller vers des aménagements qui encouragent la cohabitation entre plusieurs modes en fonction de leur importance et de leur rythme. La question de la place accordée à la voiture est centrale : dans les centres-villes, on se rend compte qu’elle est inadaptée. On recherche des modes plus agiles, adaptés aux courtes distances, plus économiques et moins polluants et sans problème de stationnement.

L’idée générale est donc de réfléchir à la priorisation des différents modes de transport en fonction du contexte et de l’espace à aménager. Les réponses en termes d’aménagement vont par conséquent être très variables selon l’environnement dans lequel on se trouve. La part de la voiture va se réduire dans les centres urbains, mais restera importante dans zones interurbaines ou peu denses, avec des pistes cyclables mieux séparées et plus sécurisées. Les cyclistes seront protégés des voitures via des aménagements tels qu’un îlot séparateur en granit ou des voies « en Lincoln », c’est-à-dire un trottoir intermédiaire, entre les piétons et la chaussée. »

Le saviez-vous ?

La Macif, membre du Movin'On Lab, s’engage en faveur des mobilités durables, innovantes et collaboratives.

Des innovations technologiques au service de la ville

Side Walk Labs, la filiale d’Alphabet (Google), imagine aussi la ville de demain au travers d’innovations technologiques. Demain, la ville pourra être connectée et interagira avec le véhicule autonome. Les limitations de vitesse pourront s’adapter à la congestion du trafic en temps réel. Les chaussées bénéficieront de marquages au sol plus visibles grâce à des revêtements éclairés. Le mobilier urbain pourra être mobile et les voies de circulation pourront même changer de direction (dans un sens le matin, et dans l’autre le soir pour faciliter l’entrée et la sortie des véhicules en heures de pointe).
 

3 Y a-t-il d'autres façons de « pacifier » les relations entre les différents utilisateurs de la voirie ?

Madeleine Masse : « Oui, en réduisant la vitesse, tout simplement ! On constate que plus les vitesses sont basses, notamment celles des voitures, plus la cohabitation avec les vélos et les autres modes de transports se passe bien. Le meilleur exemple est celui des contresens cyclables : leur côté déstabilisant pour les automobilistes les amène à ralentir, et au final, ce sont des aménagements qui fonctionnent bien. Il existe d’autres aménagements efficaces pour apaiser la circulation en ville, comme de réduire la largeur des chaussées ou faire des carrefours rehaussés « en plateau » où les piétons sont prioritaires. Cette question de la vitesse est aussi valable hors des centres-villes. Nous avons par exemple des projets prospectifs sur le devenir des autoroutes en Île-de-France à horizon 2030-2050. L’une des pistes que nous proposons est la baisse de la vitesse sur ces routes afin de pouvoir les partager avec d’autres formes de mobilités. Nous proposons par exemple l’aménagement d’une piste cyclable sur l’A86 ! »

4 Et les piétons dans tout ça ?

Madeleine Masse : « C’est vrai qu’il ne faut jamais perdre de vue l’espace réservé aux piétons. Nous travaillons beaucoup sur l’analyse des flux piétons et l’ergonomie des espaces qui leur sont dédiés. L’idée est d’une part de « sanctuariser » l’espace piétonnier, qui ne peut être partagé avec d’autres modes de transports plus rapides, et de permettre des déplacements simples et efficaces : se repérer sur la voirie, trouver son bus, accéder aux vélos partagés, etc. Cette question est cruciale partout et particulièrement autour des gares, qui concentrent un trafic piéton et multimodal particulièrement dense car ce sont par définition des lieux de transition entre plusieurs modes de transport. »

5 La trottinette : opportunité d'avenir ?

Madeleine Masse : « En termes d’urbanisme et d’environnement, la trottinette est plutôt une chance parce qu’elle contribue justement à repousser la voiture en dehors de ces zones en accélérant la multimodalité quotidienne. Il y a peu de temps, on prenait sa voiture, le bus ou le métro pour aller travailler, et on n’envisageait pas de changer de mode en cours de route. Aujourd’hui, il est de plus en plus courant de combiner : la voiture jusqu’à un parking périurbain, puis une trottinette – voire un mix transport en commun/trottinette – pour le dernier kilomètre. L’offre de mobilités douces, partagées et agiles permet ainsi de s’adapter beaucoup plus facilement. Et comme les publics sont de plus en plus sensibles à la question environnementale, il y a aujourd’hui une prise de conscience qui amène une véritable opportunité de repenser nos mobilités et nos villes pour donner sa place à chacun et réduire considérablement la pollution. »

Et pour en savoir plus…

Rendez-vous au Pavillon de l’Arsenal (Paris XIIe) pour assister à l’exposition Les Routes du futur, du 6 juin au 31 août 2019.

L'Essentiel de l'article
  • Les nouvelles mobilités obligent à repenser l’aménagement urbain.
  • Il faut réfléchir à un rééquilibrage entre les différents modes de transport.
  • L’abaissement de la vitesse est souhaitable pour apaiser le trafic.
  • Les nouvelles mobilités contribuent à réduire la pollution en ville.
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